L'entretien des tonneaux à l'époque médiévale
Published :
12/09/2020 19:27:21
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Paroles d'Experts
Au Moyen Âge, avant de récolter les raisins, et surtout avant la vinification, les vignerons doivent réviser les tonneaux, les cuves à fouler, mais aussi les corbeilles et tous les récipients qui vont servir. Car, si le vigneron soigne sa vigne avec un nombre restreint d'outils, il a besoin d’un matériel important pour fabriquer puis conserver le vin. Son investissement est là.
" En vaisseau mal lavé ne peut-on vin garder "
Un texte original de Perrine Mane
Directrice de recherche CNRS - Responsable du Groupe d'Archéologie Médiévale
Le nettoyage des tonneaux à l’époque médiévale
Tout d’abord le vigneron doit procéder au nettoyage des récipients vinaires. C’est ainsi que dès 1305, l’agronome bolonais Pietro de’ Crescenzi recommande de laver les tonneaux à l'eau salée, puis de les enfumer à l'encens. Cet usage propitiatoire est en fait de peu d'efficacité sur les bactéries ; en effet en l'absence d'un véritable méchage au soufre, qui n’apparaitra que très postérieur, un tonneau mal nettoyé devient un milieu propice au développement des maladies et risque d'introduire, dans la récolte, des moisissures qui donneront mauvais goût au vin.
D’autres méthodes plus rudimentaires sont également employées pour nettoyer les tonneaux. Ainsi dans une miniature d’un Theatrum sanitatis, traité de diététique enluminé à la fin du XIVe siècle en Lombardie (Rome, Bibliothèque Casanatense, ms. 459, f. 106), le vigneron, armé d’un bâton, gratte l’intérieur du tonneau qui a été posé sur deux solides cales de bois. S’en écoule une abondante pâte rouge. À ses côtés, une femme, elle aussi munie d’un bâton, verse une cruche d’eau afin d’éliminer le tartre et la râpe qui restent dans les tonneaux et les cuves, après la fabrication de la piquette. Ces derniers donnent un mauvais goût au vin, alors qu’une fois récupérés, ils pourront servir d’engrais dans les vignes.
Enfin certains textes médiévaux attestent que les tonneaux pouvaient être "chaudés" : on versait de l’eau chaude pour vérifier leur étanchéité.
La réparation des tonneaux ou « À la Saint-Urbain, s’il fait beau, préparez vos tonneaux »
Une tâche occupe largement le vigneron durant les mois d’été, la réparation des tonneaux. Elle est souvent représentée dans plusieurs églises du Sud-Ouest de la France, mais surtout en Italie pour symboliser le mois d’août dans le calendrier des occupations paysannes.
L’importance donnée à cette tâche dans l’iconographie correspond au lourd investissement que constituent, pour les paysans, la vaisselle vinaire et les paniers de vendange : c’est souvent le « secteur outillé le plus fourni dans la maison paysanne ». Par exemple, en Catalogne, il n’est guère de testaments médiévaux où ne figurent, parmi les legs, cuves, barriques ou tonneaux et chez les vignerons, ces récipients représentent toujours au moins la moitié, et souvent même plus des trois quarts des ustensiles agricoles possédés par les testateurs. Autre exemple, en 1414, il y eut une telle récolte de raisins à Arles et dans les environs que plusieurs vignes ne furent pas vendangées faute de récipients pour les entreposer, puis fabriquer et conserver le vin.
Parmi ces récipients, les tonneaux tiennent une place primordiale. En effet en l’absence de bouteilles qui n’apparaitront que postérieurement à l’époque médiévale, les fûts jouent un rôle capital dans le processus de fabrication du vin, mais aussi dans sa commercialisation : ils permettent non seulement l’entonnage une fois le vin produit, mais aussi sa conservation, et surtout son transport puisque l’on vend le vin en tonneau d’où la nécessité de se réapprovisionner en futaille chaque année. De plus, outre le vin, les fûts servent également à stocker et à transporter de nombreuses denrées, comme les grains, le miel, les poissons ou même le pastel.
Le reloyage
La réparation des cercles, ou reloyage, doit être effectuée chaque année. En effet les cercles s’usent lors du roulage des tonneaux, mais pourrissent aussi plus vite que les douves dans les caves et les celliers où sont déposés les vaisseaux ; aussi les surveille-t-on très attentivement pour ne pas perdre le vin que renferment les tonneaux.
En fait, à travers les images du Moyen Âge, il est souvent difficile de déterminer si nous avons à faire à l'une des dernières étapes de la fabrication des vaisseaux lorsque le tonnelier pose les cercles qui maintiennent l'assemblage des douelles ou bien si l’on a affaire à l'entretien périodique des fûts. En effet les activités des artisans-tonneliers et des paysans-vignerons sont étroitement mêlées. Si le tonnelier fabrique les tonneaux tout au long de l’année, il entretient aussi la futaille et tout particulièrement avant les vendanges, surtout dans les grandes exploitations. La presse est d’ailleurs alors si forte que, durant le mois d'août, les tonneliers sont autorisés à travailler la nuit dans plusieurs régions comme en Picardie, où le 8 octobre 1459, l’autorisation est donnée aux tonneliers de travailler pendant quinze jours à la chandelle, « considéré que vendanges étaient tard, et si étaient les jours cours ». Pourtant la plupart des paysans sont sûrement assez habiles pour effectuer eux-mêmes l'essentiel des réparations. Le fait que cette tâche soit d’ailleurs intégrée aux travaux des mois qui ornent de nombreuses églises, l’indiquerait, tout comme le prouvent plusieurs inventaires après-décès. En effet dans chez nombre d’entre eux, on a relevé des cercles ainsi que des matériaux ou des outils exigés par les travaux de tonnellerie, prouvant ainsi que les paysans participaient bien à l'entretien des vaisseaux vinaires.
Fabrication et pose des cercles du tonneau
Pour fabriquer un cercle, les pattes, c'est-à-dire les deux extrémités du cercle sont dégagées, puis amincies en forme de biseau pour permettre une jointure sans épaisseur. Pour donner ce qu'on appelle de la serre aux cercles, le tonnelier fait se recouvrir les deux extrémités du cerceau, puis les lie avec des vimes, sortes de baguettes d'osier dont on conserve l'écorce. Indépendamment de ce lien, il n’est pas rare que l’artisan renforce encore son cercle à deux ou trois autres endroits.
Les cercles sont fabriqués dans un bois flexible qui provient essentiellement des pousses de châtaignier ou de coudrier pour la futaille ordinaire, du chêne, de l'orme ou du charme pour les grosses pièces...
Pour mettre en place les cercles, le tonnelier, comme le vigneron, se sert d'un maillet qui, selon les images, peut prendre des formes et des tailles diverses. Toujours en bois, il est le plus souvent cubique, ou encore avoir ses deux faces plus ou moins obliques, à moins qu’il ne soit cylindrique. Son manche est toujours en bois tourné et mesure environ 25 centimètres. Il est toujours emmanché à soie et encastré dans la partie battante qu'il traverse en son milieu, de part en part.
Si, sur plusieurs images médiévales, le vigneron n'a pour instrument que ce maillet avec lequel il martèle directement les cercles, dans la plupart des cas, un autre outil permet d'obtenir une meilleure prise pour ajuster les cercles, tout en évitant de les endommager. Quelquefois, c’est une seconde masse, moins grande, qui est appliquée contre le cercle qui est en train d’être remplacé. Plus souvent l’outil complémentaire est un coin en bois dit cachet, chasse ou chassoir ; de forme parallélépipédique, il se termine en biseau. Le paysan tient alors le chassoir de la main gauche contre le cercle qu'il veut poser et le maillet frappe sur la chasse qui glisse le long du cerceau.
Mois d’août, San Savino de Plaisance, mosaïque de la crypte, exécutée en 1107
Mois d’août, baptistère de Parme, frise intérieure de la loggia, sculpté en 1196 par Benedetto Antelami
Mois d’août, San Colombano de Bobbio, mosaïque de la nef, exécutée au début du XIIIe siècle
Tonnelier, vitrail de Saint Julien l’Hospitalier, Notre-Dame de Chartres, exécuté durant la première moitié du XIIIe siècle
Tonnelier, San Marco de Venise, troisième voussure du portail central de la façade occidentale, sculpté vers 1260
Mois de septembre, San Martino de Ronco sopra Ascona (Tessin), fresque effectuée en 1492
Mois d’août, San Michele de Plagnedra (Tessin), fresque effectuée vers 1495
Image de couverture de l'article : Mois d’août, San Michele de Plagnedra (Tessin), fresque effectuée vers 1495, photo Perrine Mane.
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Published : 31/08/2019 06:14:59
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