[XIII] Le cuvier en bois au 13ème siècle
Published :
12/09/2019 08:41:52
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La futaille à travers les siècles
Forme, type de cerclages et dimensions
Dans son Manuel d'archéologie française, depuis les temps mérovingiens jusqu'à la Renaissance, en 1904, Camille Enlart a consacré un chapitre sur les étuves. L'auteur précise : "La propreté tenait de même sa juste place dans l'idéal du moyen-âge : le Roman de la Rose recommande des soins de propreté à la femme qui veut plaire, les épousées se baignaient la veille et le lendemain de leurs noces, et quand un chevalier devait être armé, non seulement il passait la nuit en prières, mais il prenait un bain pour se présenter net de corps autant que d'âme à l'espèce de sacre qu'il recevait."
Le mot "étuve" semble avoir été utilisé autant pour la pièce des bains que pour la baignoire en elle-même, surmontée d'un drap accroché à un dais pour garder la vapeur, comme le suggère Jean Mesqui en 2001 dans son article L'étuve dans les châteaux et palais du Moyen Âge en France.
C'est à l'occasion de la fabrication de la baignoire de location que j'ai compris la nécessité d'un tel article. Il y a des travaux sur l'hygiène, sur les bains, mais je n'en ai pas trouvé sur les contenants. Je vous propose ici mes conclusions sur les baignoires au XIIIème siècle, la liste sera actualisée régulièrement. Je ne peux malheureusement vous afficher directement les photos pour des raisons de licence, mais je vous invite à cliquer sur chaque lien sans modération.
La baignoire ronde, la plus représentée :
➜ Decretum Gratiani, Décret de Gratien, entre 1280 et 1290 environ, Belgique, -provenance probable de l'abbaye cistercienne de Cambron, Hainaut (Baltimore, The Walters Art Museum, Ms. W.133).
➜ Psautier, entre 1270 et 1280 environ, Belgique, Gand (New York, Pierpont Morgan Library, cote MS M.72 fol. 95).
➜ Antiphonaire de Beaupré. Volume III, 1290 environ, France (Baltimore, The Walters Art Museum, Ms. W.761).
Voici trois premières enluminures qui nous donnent beaucoup d'infos.
Ce sont des représentations typiques des cerclages en bois. On peut l'affirmer car ils sont représentés par groupe de 3 sur l'Antiphonaire et sur le Psautier et dans le Decretum Gratiani on voit bien les traits verticaux de la ligature en osier.
* Ces cerclages assurent le serrage, mais ils subissent aussi une pression (3ème loi de Newton). Ceux en bois sont un peu plus fragiles que ceux en fer, notamment au niveau des ligatures. Du coup on en met plus pour diminuer les contraintes subies par chacun d'eux.
Les deux dernières baignoires ont des étriers pour les transporter facilement avec un bâton. Leur forme, avec le gros diamètre en bas, est très pratique en cas de séchage du bois entre deux utilisations.
* En séchant le bois perd du volume, les cerclages descendent et comme ils se dirigent du côté du plus gros diamètre, ils ne tombent pas complètement et la baignoire reste debout.
On ne peut pas déterminer de manière certaine des dimensions car on n'en voit pas le bas. Mais on peut essayer de s'en approcher en nous aidant des proportions données par la présence de personnages. Ceux-ci font la même taille, qu'ils soient dans les baignoires ou dehors, on en déduit que ceux qui sont dedans sont aussi debout. Le haut des douelles leur arrive au niveau du bassin. La taille moyenne d'un français au moyen-âge est moins élevée qu'au XXIème siècle, on estime alors la hauteur à 80 cm. On ne peut pas conclure sur le diamètre, mais comme ces deux baignoires semblent plus larges que hautes, disons qu'il est compris entre 90 cm et 1 m.
Il semble que le personnage dans la baignoire dans le Decretum Gratiani soit un enfant. Dans ce cas, la baignoire a les mêmes dimensions que les deux précédentes.
➜ Recueil d'anciennes poésies françaises, 1280-1285 environ, France, Paris. (Paris, Bibliothèque de l'Arsenal, Ms. 3142, fol. 320).
➜ Le Roman de Tristan, fin 13e s. (Londres, The British Library, Ms. Add. 5474, fol.144).
➜ Recueil de vies de saints en français, Fiseus questionnant Marques dans son bain, 13e s., France (Lyon, BmLyon | Numelyo, Ms 867, fol. 183).
➜ Recueil de vies de saints en français, Huon de Thabarie donnant un bain à Saladin, 13e s., France (Lyon, BmLyon | Numelyo, Ms 867, fol. 214v).
On retrouve la représentation typique des cerclages bois, comme vu plus haut.
Les deux premières baignoires ne possèdent pas d'étriers : pour les déplacer il faut les faire rouler. L'enlumineur leur a donné une forme cylindrique, c'est une liberté artistique qui ne correspond pas à la réalité car il faut une pente, même minime pour pouvoir assurer un serrage efficace. Tant qu'on en est aux remarques, contrairement au Roman de Tristan nous avons ici dans le Recueil d'anciennes poésies françaises une représentation très réaliste du nombre de cerclages.
* Les cerclages sont fabriqués en prenant la mesure directement sur le fût pendant les finitions. Lors de la mise en place, ils sont enfoncés en force au marteau, à l'aide de la chasse. La forme tronconique du fût fait que le diamètre augmente, c'est ce qui permet de serrer les douelles les unes contre les autres et d'avoir l'étanchéité.
Les deux dernières enluminures proviennent du même manuscrit. Elles ont des étriers et on retrouve la forme évoquée précédemment, avec le plus gros diamètre en bas. Même si elles diffèrent par le nombre de cerclages sur la partie basse (la première en a trois alors que la deuxième n'en a que deux), il est possible qu'il n'y ait qu'une seule et même baignoire.
La présence d'une personne debout tout près de la baignoire nous permet d'affirmer que celui qui est dedans est assis. Quand on regarde de plus près, les bassins de ceux qui sont assis sont situés plus haut que le fond de la baignoire. Plusieurs explications comme les libertés artistiques ou l'habileté de l'enlumineur peuvent être évoquées. Même si je n'ai aucune preuve : au XIIIème, il est possible qu'ils soient assis sur un tabouret.
Comme les exemples précédents, le haut des douelles arrive au niveau du bassin de ceux qui sont à coté, disons à 80 cm. Concernant le diamètre, on peut garder les mesures précédentes (entre 90 cm et 1 mètre) pour les deux premières, car elles semblent elles aussi plus larges que hautes. Par contre dans le Recueil de vies de saints en français, Marques et Saladin semblent plus à l'étroit et si on regarde bien les proportions sans tenir compte des étriers, cette baignoire semble plus haute que large. C'est là qu'un tabouret est utile : ça permet de ramener facilement le diamètre à 60 cm, c'est intéressant quand on n'a pas trop de place.
➜ Psautier - Heures, entre 1280 et 1299 environ, France, Amiens (New York, Pierpont Morgan Library, Ms. M.729 fol. 258v).
Bon ok c'est Saint Nicolas qui ressuscite les trois enfants, dans l'histoire normalement c'est un saloir... Mais là ça ressemble quand même beaucoup à une baignoire alors je la classe ici.
La baignoire tripode :
➜ Gradual, Sequentiary, and Sacramentary, entre 1225 et 1250 environ, Allemagne, Weingarten (New York, Pierpont Morgan Library, MS M.711 fol. 22).
➜ Gradual, Sequentiary, and Sacramentary, entre 1225 et 1250 environ, Allemagne, Weingarten (New York, Pierpont Morgan Library, MS M.711 fol. 102).
Ici nous avons deux modèles dont les douelles qui dépassent permettent de surélever l'ensemble. C'est une très bonne solution pour assurer la ventilation dessous ! Les cerclages ne sont pas représentés de la même manière : la première semble être en cerclages fer, la deuxième en cerclages bois.
Les gros baquets :
➜ Tristan et Yseult, entre 1215 et 1250 environ, Allemagne (Munich, Bay. Staat. Bibl., Cgm 51).
➜ Sachsenspiegel, Miroir des Saxons, entre 1295 et 1363 environ, Allemagne (Dresde, Staats- und Universitätsbibliothek (SLUB) Ms. M. 32).
Ces deux représentations montrent le même genre de scène, il s'agit vraisemblablement d'un enfant que l'on s'apprête à baigner. La représentation des cerclages est typique des cerclages fer : ils sont dessinés comme une large bande unique.
Dans Tristan et Yseult, le premier lien, c'est un gros baquet avec étriers dont le petit diamètre est en bas. Il est impossible de conclure sur la forme de celui représenté dans le Miroir des Saxons car le dessin représente un cylindre.
La baignoire oeuf :
➜ Psautier-Heures de Guiluys de Boileux, 1246 environ, France, Arras (New York, Pierpont Morgan Library, Ms. M.730, fol. 10v).
Celle-là c'est une de mes préférées. Les cerclages sont en bois et leur nombre est cohérent. Comme il s'agit d'une naissance, c'est une baignoire pour bébé dont on peut estimer la hauteur à 30 cm.
La baignoire ovale :
➜ Haggadah de Pâques (hébreu), entre 1460 et 1470, Bavière ou Franconie. (Paris, Bibliothèque nationale de France, Hébreu 1333, fol.12).
Celle-ci pourrait se trouver avec celles dont je n'ai pu déterminer la forme. Mais si l'on considère que ce monsieur est assis au fond de la baignoire et comme il semble qu'il ait les jambes tendues, la forme la plus probable pour la baignoire est ovale. Mais elle peut très bien être ronde.
Voici un bonus : la baignoire rectangle, c'est une sculpture qui se trouve au musée de Marseille. Cliquez pour les agrandir.
* Le rectangle n'est pas la forme la plus adaptée pour avoir un serrage efficace par les cerclages, car les douelles subissent moins de pression qu'avec une forme ovale.
Les baignoires de forme indéterminée (ovale ?) :
➜ Recueil de vies de saints en français, 13e s. (seconde moitié), France. (Arras, Bibliothèque Municipale, Ms. 851 (307), fol. 20v).
➜ Recueil de vies de saints en français, 13e s. (seconde moitié), France. (Arras, Bibliothèque Municipale, Ms.851 (307) - f. 21r).
➜ Gradual, Sequentiary, and Sacramentary, entre 1225 et 1250 environ, Allemagne, Weingarten. (New York, Pierpont Morgan Library, cote Ms. M. 711, fol. 116).
➜ The Crusader Bible, Bible de Maciejovski, entre 1244 et 1254 environ, France, Paris. (New York, Pierpont Morgan Library, Ms M. 638, fol. 41v).
➜ Sacramentaire à l'usage de Paris, adapté à l'usage de Senlis, 1270 environ, France du nord (Paris). (Paris, Bibl. Sainte-Geneviève, Ms. 102, fol. 1-9v, 185-383 - f. 324).
➜ Tristan et Yseult, entre 1215 et 1250 environ, Allemagne. (Munich, Bay. Staat. Bibl., Cgm 51).
-- Aude ROSSOLINI --
Merci à Sihame Cornetet pour l'inspiration et à Cédric Guillarmo pour les photos de la sculpture sous toutes les coutures et à Perrine Mane pour la relecture !
Bibliographie :
[MESQUI, 2001] Mesqui Jean, "L'étuve dans les châteaux et palais du Moyen Âge en France" dans Bulletin Monumental, tome 159, n°1, 2001, Les Bains privés au Moyen âge et à la Renaissance, p. 7-20.
[ENLART, 1904] Enlart Camille, " Manuel d'archéologie française, depuis les temps mérovingiens jusqu'à la Renaissance" tome 2, architecture civile et militaire, 1904, p. 86-93.
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