Il faut se rendre à l'évidence : plus les années passent, plus elles le font vite ; à croire que le temps est lui aussi sujet à des statistiques de productivité. Je ne me souviens plus la dernière fois que j'ai posté ici, j'ai pourtant beaucoup de choses à dire, notamment de nombreuses enluminures splendides classées dans mon fichier qui attendent sagement... Et chaque jour je passe tout droit et je vais au jardin, regarder les tomates qui mûrissent, les maïs en fleurs, les poivrons qui sont verts avant de choisir leur couleur définitive, les insectes qui butinent et les oiseaux qui volent, stériliser les bocaux, faire les confitures, ou encore je rejoins les enfants qui grandissent si bien, la vie quoi.
Pourtant j'y suis devant mon écran. J'y suis pour actualiser les notifs et répondre aux messages. J'y suis pour consommer des vidéos et lire des textes, plus ou moins engagés, des coups de gueule et des appels de lanceurs d'alertes en tout genre, toujours les mêmes appels à rêver d'autre chose. Je me demande si aimer ce qu'on fait est un luxe et si être heureux ne serait pas le plus puissant des militantismes. J'en ai commencé des articles. Et voilà, il est la nuit. J'en ai passé des nuits à fouiller dans les manuscrits numérisés, à m'émerveiller devant ces dessins ancestraux.
Je me demande si les esclaves avaient le droit de veiller tard, juste pour apprécier le silence ou pour le plaisir de ne rien faire, comment utilisaient-ils leur temps libre (je parle juste avant de s'endormir), eux qui n'avaient ni smartphone, ni ordi, ni télé, ni enluminures.